
Lever des fonds en souplesse ? Les atouts cachés (et les pièges) de la société à capital variable
-Dans la jungle du financement des start-up, la forme sociale est une arme stratégique.
Mais choisir une société à capital variable, est-ce ouvrir le champ des possibles ou créer un précédent incertain ? Analyse d’un outil juridique puissant… à manier avec précision.
I. Une flexibilité redoutable : le capital variable au service de l’agilité entrepreneuriale
Dans un écosystème où le temps est une denrée aussi précieuse que les liquidités, la variabilité du capital constitue un levier décisif.
En prévoyant dans ses statuts une clause de capital variable (article L. 231-1 du Code de commerce), la société se libère des lourdeurs procédurales classiquement attachées aux augmentations de capital : plus besoin d’assemblée extraordinaire, ni de formalités longues et coûteuses.
Un simple apport, et le nouvel investisseur entre au capital.
Pour une start-up en croissance, cette souplesse est un atout maître. Elle permet d’accueillir des partenaires financiers à mesure des opportunités, sans déstabiliser l’architecture juridique.
Le retrait d’un associé ? Il est tout aussi fluide, sauf stipulations contraires, grâce à l’article L. 231-6 du Code de commerce. Et le départ d’un associé ne remet pas en cause l’existence de la société (article L. 231-8), évitant ainsi les blocages souvent redoutés dans les sociétés de personnes.
Cette plasticité intéresse tout particulièrement les fondateurs désireux de garder la main sur la stratégie tout en ouvrant ponctuellement le capital à des investisseurs non permanents (business angels, venture capitalists early stage).
Un véhicule à capital variable devient alors un instrument de croissance organique, au rythme des levées successives.
II. La contrepartie de la souplesse : perception d’instabilité et exigences minimales
Mais à trop vouloir séduire la vitesse, on risque parfois de compromettre la sécurité.
Le capital variable, par essence, fait naître une inquiétude légitime chez les investisseurs professionnels : celle d’une dilution non anticipée, ou pire, d’un retrait imprévu qui déstabiliserait l’actionnariat.
Car si la liberté est grande, elle n’est pas toujours rassurante.
L'article L. 231-6 laisse à chacun la faculté de se retirer, et cette faculté peut être vécue comme un facteur d’incertitude sur le long terme.
En outre, cette liberté s’encadre : l’article L. 231-5 impose un capital plancher, équivalent au dixième du capital statutaire, ou au montant minimal exigé selon la forme choisie (37 000 € pour une SA, conformément à l’article L. 224-2). Rappelons que le seuil minimal du capital d'une SAS est de 1 €.
Ce seuil limite de facto la marge de manœuvre et rend parfois le capital variable peu adapté aux sociétés qui visent une transformation future en société anonyme pour séduire les investisseurs institutionnels.
À cela s’ajoute un enjeu d’image : la mention obligatoire "à capital variable" (L. 231-2) sur tous les documents sociaux peut troubler certains financeurs.
Par méconnaissance ou par prudence, certains établissements bancaires et fonds redoutent les montages où la variabilité introduit une imprévisibilité structurelle, même si les statuts prévoient des garde-fous.
La société par actions simplifiée (SAS) séduit par sa liberté statutaire, et l’adoption d’un capital variable renforce encore cette flexibilité.
Pour la SAS, qui échappe à toute exigence chiffrée de capital minimal (article L. 227-1 excluant l’application de l’article L. 224-2), ce seuil est donc exclusivement d’origine statutaire. En l’absence de référence légale chiffrée, la sécurité juridique repose intégralement sur la qualité de la rédaction des statuts.
La jurisprudence récente a confirmé cette exigence de précision et de discipline dans la mise en œuvre de la variabilité du capital.
Par un arrêt du 18 décembre 2024 (n° 23-10.695), la chambre commerciale de la Cour de cassation a réaffirmé que le retrait d’un associé ne peut entraîner la reprise de ses apports si ce retrait conduit à descendre sous le minimum statutaire : l’associé demeure donc temporairement engagé. Cette décision s’inscrit dans le prolongement de l’arrêt du 6 février 2007 (n° 05-19.237), selon lequel toute augmentation de capital en l’absence de clause statutaire définissant le plafond de variabilité requiert une décision collective.
Plus récemment encore, la Cour d’appel de Chambéry, 11 février 2025 (n° 22/00919), a rappelé l’importance de la régularité des statuts dans les SAS à capital variable, en soulignant que toute omission relative aux modalités de répartition des droits ou aux avantages particuliers pouvait fragiliser la validité de la constitution ou des opérations ultérieures.
Dès lors, toute société envisageant d’adopter un capital variable doit s’interroger sérieusement sur la robustesse de sa clause statutaire.
Le capital plancher est-il suffisamment élevé pour garantir la sécurité des tiers ? Le plafond est-il défini pour éviter un retour imprévu aux lourdeurs de l’assemblée générale ? Et surtout, les associés mesurent-ils les conséquences pratiques d’une variabilité insuffisamment encadrée ? Sous ses dehors séduisants, le capital variable impose en réalité une rigueur rédactionnelle accrue, faute de quoi la souplesse promise peut vite se transformer en contentieux inattendu.
III. Transparence, traçabilité, sécurité : les exigences de la pratique et de la jurisprudence
La flexibilité statutaire n’exonère pas de rigueur opérationnelle.
Plusieurs décisions récentes rappellent la vigilance à adopter dans le cadre de levées de fonds impliquant des titres variables ou des instruments dilutifs.
Dans l’affaire Cour d’appel de Paris, 14 juin 2024 (n°19/06811), la question portait sur l’attribution de BSA à certains dirigeants. La Cour a souligné l’importance de la traçabilité des avantages consentis, leur rattachement au mandat social, et la nécessaire cohérence avec les obligations sociales et fiscales. Une alerte utile pour toute start-up qui souhaite intégrer des instruments de capital flexibles dans sa politique de rétribution ou d’attraction de talents.
De même, dans un arrêt plus récent (CA Grenoble, 22 mai 2025, n°24/01698), c’est l’obligation de conseil et d’information qui a été placée au cœur de la décision. Une société avait mal évalué le profil des investisseurs dans une opération de souscription risquée. Le défaut d'information claire sur les risques et l’absence de transparence sur les montages ont conduit à la sanction de l’opérateur.
Ces jurisprudences rappellent que la sécurité juridique des opérations prime sur leur commodité apparente.
Le régime du capital variable, tel qu’il résulte des articles L231-1 et suivants du Code de commerce, n’instaure pas, en lui-même, un régime de responsabilité du dirigeant plus rigoureux que celui applicable aux sociétés à capital fixe.
Toutefois, la souplesse du capital variable, qui facilite les mouvements d’entrée et de sortie des associés, peut conduire à une vigilance accrue sur la gestion du dirigeant, notamment lors des opérations de retrait, d’exclusion ou de modification statutaire.
La jurisprudence rappelle que la liberté contractuelle, dans la détermination des modalités de retrait ou d’exclusion, doit s’exercer dans le respect des droits fondamentaux des associés et des règles d’ordre public.
Les clauses statutaires et les stipulations des pactes d’associés jouent alors un rôle central pour encadrer la responsabilité du dirigeant, prévenir les abus et sécuriser les opérations sociales.
Les statuts, aussi rigoureux soient-ils, ne sauraient à eux seuls contenir l’intégralité des engagements entre associés.
À ce titre, les pactes d’associés constituent un instrument complémentaire de première importance, permettant d’encadrer, avec finesse, la gouvernance, les relations d’affaires et la stabilité capitalistique. On y insère classiquement des clauses de non-concurrence, d’inaliénabilité temporaire des titres, de préemption, de sortie conjointe (drag along) ou forcée (tag along), ainsi que des stipulations relatives à la responsabilité du dirigeant ou aux modalités de prise de décision.
La Cour d'appel de Douai (21 octobre 2022, n° 21/01439, chambre sociale) a eu l’occasion de confirmer la validité d’une clause de non-concurrence intégrée à un pacte d’associés, en énonçant que « les associés peuvent décider d'insérer une clause de non-concurrence dans le pacte d'associés qui règle les rapports de l'actionnariat. Cette clause impose aux associés signataires de ne s'engager dans aucune activité similaire à celle exercée par la société qui pourrait lui faire concurrence ». Cette décision illustre la latitude reconnue aux associés pour sécuriser les intérêts de la société en prévenant les conflits d’intérêts ou les pratiques parasitaires.
Il est également loisible, dans le cadre de ce pacte, de prévoir des mécanismes visant à encadrer la responsabilité du dirigeant en cas de manquement à ses obligations de loyauté, de diligence ou de respect des règles de gouvernance. Toutefois, cette liberté conventionnelle connaît des limites strictes.
Ainsi, conformément à l’article L. 223-22 du Code de commerce, est réputée non écrite toute clause ayant pour effet de limiter ou d’exclure à l’avance la responsabilité du dirigeant, de subordonner l’exercice de l’action sociale à autorisation préalable, ou encore d’organiser une renonciation anticipée à engager cette action. Cette interdiction vise à préserver l’intérêt social et à éviter toute impunité conventionnelle dans l’exercice des fonctions de direction.
En clair : la variabilité du capital n'est pas un blanc-seing. Elle doit être accompagnée d’une gouvernance robuste, d’un pacte d’associés bien ficelé, et d’un formalisme rigoureux pour les entrées et sorties au capital.
Conclusion : un outil puissant, mais qui exige maîtrise et accompagnement
La société à capital variable est incontestablement un outil stratégique pour les start-up ambitieuses : souplesse dans les apports, agilité dans les retraits, continuité dans la vie sociale.
Mais elle n’est pas adaptée à tous les contextes. La perception d’instabilité, les seuils réglementaires, et les exigences de conformité renforcées peuvent freiner certains investisseurs.
Il revient alors aux fondateurs — et à leurs conseils — d’évaluer avec précision si ce modèle répond à leurs ambitions de financement. Dans bien des cas, un accompagnement sur-mesure permettra de transformer cet apparent "flou juridique" en avantage compétitif décisif.
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