Management toxique et brutal : responsabilités de l’employeur, droits du salarié et leviers juridiques d’action
-À la lumière des jurisprudences récentes (2024–2025), une lecture stratégique et opérationnelle du droit du travail
Le management sous contrôle renforcé du juge social
Les juridictions sociales françaises confirment, par une jurisprudence désormais abondante et cohérente, que le management brutal ou toxique constitue un enjeu central du droit du travail contemporain.
Les décisions rendues entre 2016 et 2025 démontrent une vigilance accrue des juges quant à la protection de la santé mentale des salariés, à l’effectivité de l’obligation de prévention pesant sur l’employeur et à la sanction des pratiques managériales déviantes.
La jurisprudence récente – notamment celle des cours d’appel de Reims, Bastia, Metz, Versailles, Pau, Paris et Besançon – illustre que le management toxique peut entraîner des conséquences juridiques lourdes : nullité du licenciement, réparation intégrale des préjudices, reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur ou encore sanction disciplinaire du manager fautif.
Dans ce contexte exigeant, le cabinet TURLAN AVOCATS accompagne tant les employeurs que les salariés cadres dans le traitement de dossiers complexes liés aux risques psychosociaux, en associant une expertise juridique approfondie et, lorsque nécessaire, un accompagnement pluridisciplinaire incluant des professionnels de la santé mentale, dans une démarche de thérapie juridique.
I. Les droits et obligations de l’employeur face au management toxique
1. Le pouvoir disciplinaire de l’employeur à l’encontre du manager toxique
Le Code du travail impose à l’employeur de sanctionner les comportements managériaux déviants.
L’Article L1152-5 du Code du travail dispose que tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d’une sanction disciplinaire.
La jurisprudence confirme que le manager auteur d’un management toxique ne bénéficie d’aucune protection particulière :
Cour d’appel de Reims, Chambre sociale, 6 mars 2024, n° 23/00079 : la cour valide le licenciement pour faute grave d’un manager dont les méthodes de management, établies par de nombreux témoignages, avaient provoqué une dégradation grave de la santé des collaborateurs. La cour souligne que l’employeur, tenu par son obligation de sécurité, devait agir sans délai pour protéger les salariés.
Cour d’appel de Pau, Chambre sociale, 7 décembre 2023, n° 21/03980 : la cour caractérise un management toxique par des humiliations publiques, des propos agressifs et des pressions excessives, justifiant la nullité du licenciement du salarié victime et mettant en lumière la responsabilité de l’encadrement.
L’employeur dispose donc non seulement du droit, mais également du devoir, de sanctionner un manager toxique, sous peine d’engager sa propre responsabilité.
2. L’obligation de prévention : un impératif autonome et exigeant
Les Articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail imposent à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés, ce qui inclut la prévention des risques psychosociaux liés au management.
La jurisprudence est constante sur ce point :
Cour d’appel de Bastia, Chambre sociale tass, 15 janvier 2025, n° 24/00030 : la cour rappelle que l’employeur ne peut se contenter d’un document unique formel. L’absence de diffusion effective des mesures de prévention et de dispositifs opérationnels constitue un manquement à l’obligation de sécurité. La cour retient la faute inexcusable de l’employeur face à un management humiliant et isolant.
Cour d’appel de Metz, Chambre sociale section 1, 2 avril 2025, n° 22/02346 : la cour précise que l’employeur ne peut s’exonérer de sa responsabilité qu’en démontrant à la fois des actions de prévention en amont et une réaction immédiate et adaptée dès la connaissance des faits.
3. La faute inexcusable et la responsabilité renforcée de l’employeur
Lorsque le management toxique entraîne une atteinte à la santé mentale reconnue, la responsabilité de l’employeur peut être aggravée :
Tribunal judiciaire de Paris, Pôle social – protection sociale 3, 30 avril 2025, n° 21/02597 : le tribunal reconnaît la faute inexcusable de l’employeur informé de pratiques managériales humiliantes et répétées, resté inactif malgré des alertes et des expertises. La décision souligne l’importance de l’évaluation préalable des compétences managériales et de la prévention effective des risques psychosociaux.
II. Les droits du salarié victime d’un management toxique
1. La qualification de harcèlement moral
Le management toxique est juridiquement appréhendé par la notion de harcèlement moral définie à l’Article L1152-1 du Code du travail, sans qu’il soit nécessaire de démontrer une intention de nuire.
La jurisprudence l’illustre clairement :
Cour d’appel de Paris, 28 janvier 2016, n° 14/14159 : des critiques permanentes, un contrôle excessif et des humiliations caractérisent un harcèlement moral, justifiant la nullité de la rupture.
Cour d’appel de Paris, Pôle 6 – chambre 10, 26 avril 2017, n° 14/00321 : la cour retient qu’un management brutal et inapproprié, exercé de manière répétée, constitue un harcèlement moral ayant entraîné une dégradation avérée de la santé de la salariée.
Cour d’appel de Versailles, Chambre sociale 4-4, 29 janvier 2025, n° 23/00026 : un management vexatoire et manipulateur justifie la requalification de la prise d’acte en licenciement nul et l’octroi de dommages-intérêts.
2. Les effets sur la rupture du contrat de travail
En application des Articles L1152-3 et L1235-3-1 du Code du travail, toute rupture intervenue en lien avec un harcèlement moral est nulle.
Le salarié peut obtenir :
la nullité du licenciement,
une indemnité minimale de six mois de salaire,
la réparation intégrale de ses préjudices, y compris moraux et professionnels.
3. La preuve du management toxique : un faisceau d’indices admis largement
L’Article L1154-1 du Code du travail aménage la charge de la preuve au bénéfice du salarié. Celui-ci doit seulement présenter des éléments laissant supposer l’existence du harcèlement.
La jurisprudence admet notamment :
Attestations convergentes :
Cour d’appel d’Amiens, 4 juillet 2024 (décisions concordantes) : la convergence et la précision des témoignages suffisent à établir la présomption d’un management toxique.Rapports d’enquête et audits :
Cour d’appel de Besançon, Chambre sociale, 8 avril 2025, n° 23/01578 : la cour reconnaît la valeur probante d’un rapport d’expertise et d’une lettre collective décrivant des pratiques managériales excessives.Alertes internes et manquement à la réaction :
Cour d’appel de Reims, Chambre sociale, 18 septembre 2024, n° 23/00658 : l’absence de réaction de l’employeur face à des alertes répétées caractérise un manquement fautif ouvrant droit à réparation.Manquement autonome à l’obligation de prévention :
Cour d’appel de Paris, Pôle 6 chambre 9, 22 mai 2025, n° 22/06727 : la cour sanctionne le défaut de prévention indépendamment du harcèlement moral lui-même.
Une approche juridique globale et humaine
Les décisions analysées confirment que le management toxique engage des responsabilités lourdes et croisées :
Pour l’employeur : obligation de prévention renforcée, nécessité de sanctionner les dérives managériales, risque de faute inexcusable.
Pour le salarié : protection renforcée, nullité de la rupture, réparation intégrale des préjudices.
Pour le manager fautif : exposition à des sanctions disciplinaires sévères, pouvant aller jusqu’au licenciement.
Le cabinet TURLAN AVOCATS intervient sur ces dossiers à forte intensité juridique et humaine, en accompagnant employeurs et salariés cadres dans une logique de sécurisation juridique, de stratégie probatoire rigoureuse et de réparation globale.
L’association du travail juridique avec des professionnels de la santé mentale permet d’inscrire chaque dossier dans une thérapie juridique, indispensable lorsque le droit du travail rencontre la souffrance au travail et les atteintes profondes à la santé psychique.
Dans ces contentieux complexes, la maîtrise du droit positif vérifié, la rigueur probatoire et l’approche humaine constituent les clés d’une défense efficace et durable.
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