
Pactes d’actionnaires : bien rédigés, ils protègent ; mal rédigés, ils condamnent.
-Dans le silence des statuts, le pacte d’actionnaires murmure les véritables règles du jeu.
Sa puissance contractuelle en fait l’instrument privilégié de la stratégie entre associés. Mais cette force, aussi souple qu’exigeante, n’existe qu’à la condition d’être juridiquement maîtrisée. La jurisprudence récente confirme que mal rédigé ou insuffisamment anticipé, le pacte devient source d’inefficacité, de contentieux, voire de nullité.
Alors que les litiges entre actionnaires se multiplient, il devient crucial de rappeler les exigences légales et pratiques qui fondent la validité, l’efficacité et l’opposabilité de ces conventions extrastatutaires.
Voici l’essentiel à retenir pour sécuriser vos pactes et éviter que la plume contractuelle ne se retourne contre vous.
I. Un contrat sous surveillance - Rédaction et validité du pacte : entre liberté contractuelle et garde-fous impératifs
Le pacte d’actionnaires n’est pas un simple outil de convenance : il est un véritable contrat, soumis aux règles générales du Code civil et à celles, parfois impératives, du Code de commerce. Dès lors, chaque clause doit faire l’objet d’une attention méticuleuse.
L’exigence première porte sur la détermination du prix dans les clauses de cession.
À défaut d’un prix déterminé ou objectivement déterminable, la clause encourt la nullité. C’est ce que rappelle la Cour de cassation (com., 27 nov. 2024, n° 23-10.385) : une promesse de vente d’actions dont le prix est laissé à la seule discrétion de l’acquéreur est contraire à l’article 1103 du Code civil.
La précision du prix n’est pas une option : elle conditionne l’existence même de l’engagement.
De même, une clause d’exclusion ou de non-concurrence doit, pour être valable, être encadrée dans sa durée, son champ d’application et sa contrepartie.
La Cour d’appel de Versailles (15 juin 2023, n° 21/07182) juge ainsi qu’une clause exécutée pendant plus de cinq ans ne peut plus faire l’objet d’une exception de nullité, sauf vice d’ordre public. La prescription joue, même dans le pacte.
Enfin, toute clause du pacte ne saurait contredire l’ordre public ni les statuts. L’article L.225-106 du Code de commerce, par exemple, interdit d’écarter un droit de vote ou de représentation reconnu à l’actionnaire. La rédaction doit donc combiner loyauté contractuelle et respect scrupuleux des règles impératives.
II. La durée du pacte : un équilibre subtil entre stabilité contractuelle et liberté de retrait
La jurisprudence a progressivement précisé les règles applicables à la durée du pacte d’actionnaires, en distinguant le pacte à durée déterminée, le pacte à durée indéterminée, et les pactes de très longue durée.
Une clause de durée mal pensée devient rapidement une source de contentieux.
Lorsqu’un pacte est conclu pour une durée déterminée, il ne peut être dénoncé unilatéralement avant son terme, sauf stipulation contraire ou circonstances exceptionnelles. La Cour d’appel de Paris (Pôle 5 – ch. 16, 15 décembre 2020, n° 20/00220) l’a rappelé à propos d’un employeur qui prétendait résilier un pacte avant son échéance en le qualifiant de contrat à durée indéterminée. La Cour a rejeté cette analyse, confirmant que la volonté initiale des parties prime sur les tentatives de requalification opportuniste.
Le pacte à durée déterminée offre ainsi une sécurité juridique forte, utile notamment pour accompagner un plan d’investissement, une levée de fonds ou un engagement de stabilité actionnariale.
En l’absence de terme prévu, le pacte est réputé à durée indéterminée, ce qui ouvre la faculté de résiliation unilatérale, moyennant un préavis raisonnable.
La Cour de cassation (com., 6 nov. 2007, n° 07-10.620) admet ainsi que des sociétés parties à un pacte sans échéance puissent s’en désengager librement, sous réserve de ne pas porter atteinte à des obligations irrévocables ou d’intérêt général. Cette solution protège la liberté contractuelle des associés, mais suppose que la dénonciation soit loyalement notifiée et exécutée dans des conditions compatibles avec la stabilité de la société.
La question de la durée excessive est au cœur de contentieux récents.
Dans un arrêt significatif, la Cour de cassation (civ. 1re, 25 janv. 2023, n° 19-25.478, Publié au bulletin) a jugé qu’un pacte conclu pour 99 ans pouvait, dans certaines circonstances, être considéré comme excessif et justifier une résiliation anticipée, notamment si cette durée confisquait toute possibilité raisonnable de sortie. L’éternité ne fait pas bon ménage avec le droit des contrats.
À l’inverse, une durée de 20 ans a été validée par la Cour de cassation (com., 27 sept. 2005, n° 04-12.168), dès lors que le pacte prévoyait des clauses de liquidité (perte de qualité d’actionnaire, cession libre des titres). Tout est affaire de proportion et de clauses de respiration.
III. Efficacité, opposabilité et exécution : le pacte à l’épreuve du contentieux
Si le pacte d’actionnaires ne lie que ses signataires, la jurisprudence reconnaît plusieurs situations où ses effets débordent ce cercle fermé.
Ainsi, lorsque tous les associés donnent leur agrément unanime à une cession en contravention du pacte, ils sont réputés avoir volontairement dérogé à ses stipulations.
La Cour d’appel de Versailles (19 déc. 2023, n° 22/03609) l’admet explicitement, privant un associé de son droit à contester une cession pourtant irrégulière au regard du pacte. L’unanimité lève l’obstacle.
En matière d’exécution, les juridictions reconnaissent de plus en plus l’exécution forcée des clauses de cession, si elles s'accordent avec les statuts de la société notamment en terme de formalités pour rendre le transfert opposable.
La Cour d’appel de Paris (13 févr. 2024, n° 21/06518) a ainsi ordonné l’exécution d’une promesse d’achat d’actions, en annulant les résolutions d’assemblée prises en violation du pacte. Preuve que le pacte peut battre les statuts, lorsqu’il est contractuellement respecté.
Attention également aux clauses d’agrément contournées.
La Cour d’appel d’Angers (10 juin 2025, n° 22/02047) a annulé une cession réalisée en fraude de la clause statutaire, ordonnant la restitution des titres. Le pacte et les statuts forment un équilibre contractuel à ne jamais rompre par artifice.
Quant à la confidentialité du pacte, elle peut être opposée même à un dirigeant non signataire.
La Cour d’appel de Paris (27 mai 2025, n° 24/03627) rejette ainsi la demande de communication d’un pacte formulée par un mandataire social au seul motif qu’il n’en était pas partie et n’invoquait aucun intérêt légitime. La confidentialité est un droit contractuel fort, à condition d’être expressément stipulée.
Enfin, la caducité du pacte peut être prononcée lorsqu’un événement extérieur modifie substantiellement la situation contractuelle. C’est le cas dans l’arrêt de la Cour de cassation (com., 1er juin 2023, n° 21-21.863) relatif aux sociétés HLM, où le renouvellement d’un agrément ministériel a privé le pacte d’objet. Le pacte n’est pas éternel : il doit vivre ou mourir avec l’environnement juridique qu’il régit.
Le pacte d'associé est un outil de puissance… mais aussi de risque
IV. Pacte versus statuts : quand l’ordre contractuel cède devant la norme statutaire
Le pacte d’actionnaires est un contrat.
Les statuts sont la loi de la société.
Et lorsque ces deux instruments entrent en collision, la jurisprudence rappelle sans équivoque que les statuts priment dans l’ordre social, tandis que le pacte ne lie que ses signataires, sauf à ce que ses stipulations soient reprises formellement dans les statuts eux-mêmes.
Prééminence statutaire dans les rapports sociaux
Il ne suffit pas de prévoir une clause dans un pacte pour qu’elle ait une valeur réglementaire. Dès lors que cette clause contredit une stipulation statutaire ou en restreint l’application, elle ne saurait faire obstacle à une opération conforme aux statuts.
La Cour d’appel de Toulouse (2e ch., 20 mai 2025, n° 23/00856) l’a illustré avec clarté dans une affaire où des associés contestaient un transfert de titres en invoquant le non-respect du pacte. La cour a jugé que le transfert était conforme aux statuts, et que le pacte, simple convention privée entre certains associés, ne pouvait remettre en cause une opération statutairement régulière. En d’autres termes, le pacte n’a pas vocation à altérer la mécanique sociale prévue par les statuts, sauf à y être intégré expressément.
La leçon est simple : les engagements contractuels pris dans un pacte n'ont d’effet que dans la sphère des relations privées entre signataires. Ils ne peuvent produire d'effet dans la vie sociale que s'ils sont transposés dans les statuts, ou s’ils révèlent une manœuvre illicite ou dolosive.
L’exception : fraude, abus ou collusion
Pour autant, la violation d’un pacte ne reste pas toujours sans effet sur la sphère statutaire. Lorsque l’opération régulière en apparence procède d’une volonté frauduleuse ou d’un abus de majorité, les juridictions n’hésitent pas à en annuler les effets ou à sanctionner les auteurs.
Dans une décision emblématique, la Cour d’appel de Paris (Pôle 5, ch. 8, 13 février 2024, n° 21/06518) a annulé des résolutions d’assemblée générale votées en violation du pacte d’associés, au motif que les engagements contractuels avaient été transposés dans les statuts, et que leur violation constituait un abus de droit manifeste. L’annulation n’a donc pas reposé sur la seule force du pacte, mais sur la fraude et le détournement des règles statutaires.
La jurisprudence réaffirme ici que le pacte peut avoir des effets sur la vie sociale, non pas directement, mais par ricochet, dès lors qu’il s’avère que le comportement d’un ou plusieurs associés, violant le pacte, constitue une manœuvre déloyale, voire un abus de majorité ou une collusion.
Nullité des actes passés en fraude des statuts ou du pacte
Cette ligne jurisprudentielle s’applique tout particulièrement aux clauses d’agrément, lorsque leur contournement est avéré.
Dans une affaire récente, la Cour d’appel d’Angers (Ch. commerciale, 10 juin 2025, n° 22/02047) a annulé une cession de titres réalisée en violation d’une clause d’agrément statutaire, en considérant que la manœuvre constituait une fraude. La cour n’a pas fondé sa décision sur le seul pacte, mais bien sur la transgression des règles statutaires, qui ont une portée organique, opposable à tous les associés et à la société elle-même.
Ainsi, la fraude aux statuts, même orchestrée dans l’ombre d’un pacte, emporte la nullité de l’acte passé, et engage la responsabilité des auteurs.
À la lumière des décisions récentes, le pacte d’actionnaires apparaît comme une arme de gouvernance redoutable, mais aussi fragile si elle est mal maniée. Sa rédaction exige :
une vision stratégique, en lien avec les statuts de la société
une parfaite maîtrise des textes,
et une anticipation du contentieux.
Chez TURLAN AVOCATS, nous intervenons à toutes les étapes de la vie du pacte : conception, rédaction, renégociation, gestion de crise et contentieux. Car un pacte ne protège que s’il est rédigé avec précision, négocié avec loyauté, et mis en œuvre avec vigilance.
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